Ces vers, que les auteurs de Faust mettent dans la bouche de Méphistophélès, le lieutenant de Satan, comme ils sont d'actualité, hélas !
Les paroles sont des cantiques où pureté rime avec austérité, dévouement avec désintéressement. Mais les actes !
Le veau d'or est toujours debout, et ses prêtres sont nombreux, audacieux, jusqu'au jour de justice où l'indignation des honnêtes gens vient les poursuivre jusque sur les marches du piédestal de l'idole qu'ils servent.
Il faut s'enrichir, s'enrichir quand même, et tous les moyens sont bons.
Vous l'avez voulu, philosophes néfastes et attristés qui, dans ses oeuvres littéraires, avez prêché la nécessité de la lutte pour la vie, du struggle for life.
Voici venir votre récolte; malheureusement ce que vous avez semé porte des fruits qui donnent la mort.
Ceux qui travaillent et amassent pour l'avenir ont fourni leur épargne dans l'espoir de concourir à une oeuvre patriotique et utile à l'humanité, ils en espéraient un bénéfice équitable, et c'est la ruine.
Tout à coup ils apprennent que leur argent si durement gagné a servi à payer ceux dont la mission sacrée est de travailler sans relâche à augmenter le bien-être du peuple.
La colère est grande et la ronde n'est pas joyeuse autour de l'idole.
Les coupables éperdus sentent planer au-dessus de leur tête le châtiment.
Après les jours de bombance vont luire les jours de réparation.
Le malheur est qu'on ne punira probablement pas les plus coupables, ils sont trop habiles; il faudra se contenter de quelques maigres satisfactions ; les fins renards recommenceront, et demain comme hier, comme aujourd'hui, le veau d'or restera debout.
Le Petit Journal, Supplément Illustré
Samedi 31 Décembre 1892